Chemin Sainte-Foy vers 1951

Chemin Sainte-Foy vers 1951
1951 Boucherie Bégin et les commerces avoisinants. Il s'agit d'une photographie représentant la boucherie Bégin située au 900, chemin Sainte-Foy, entre les avenues Saint-Sacrement et Marguerite-Bourgeoys. On y voit également les commerces avoisinants, dont la lingerie Leduc. Le cliché a été pris en direction nord. Fonds : Ville de Québec. Cote : Q-C1-14-N002934

mercredi 1 janvier 2020

Saint-Sacrement à l'ère des villas: le domaine Holland

Dans le cadre d'une collaboration spéciale avec la Société historique de Québec, cet article publié dans la revue Québecensia en mai 2019 est repris intégralement sur le blogue Saint-Sacrement illustré. 

par Jérôme Ouellet, historien



Au lendemain de la Conquête de la Nouvelle-France, plusieurs officiers et marchands britanniques profitent du départ de l’élite coloniale française pour acquérir des biens fonciers dans la région de Québec. C’est le cas de Samuel Johannes Holland (1728-1801), militaire néerlandais ayant offert ses services à la Grande-Bretagne. En 1767, il achète, dans la banlieue (note 1) de Québec, des terres sur lesquelles se trouve une résidence construite par le marchand Jean Taché vers 1740. 

Portrait présumé de Samuel Holland. (Source : Major Samuel Holland Surveyor General,
anonyme, photo par Neuville Bazin, 1950, BAnQ, Fonds ministère de la Culture et des Communications)

Ce domaine agricole, agrandi notamment par l’acquisition de la portion nord de la châtellenie de Coulonge, sera connu sous le nom de Holland Farm. Holland laissera également son nom à sa résidence, qu’il dotera d’ornements caractéristiques du style néoclassique alors à la mode : fronton, pilastres et rotonde. C’est dans cet état que les aquarellistes Cockburn et Grant représentent le bâtiment dans la première moitié du XIXe siècle.

Vue de la maison et du domaine Holland vers 1840. (Source : Holland House, St. Foye Road, QuebecJ. Grant, vers 1840, Bibliothèque et Archives Canada)

Au gré des héritages et des transactions, la taille du domaine rétrécit (note 2). Une nouvelle voie reliant les chemins Sainte-Foy et Saint-Louis est aménagée sur les anciennes terres de Holland. On la nommera en l’honneur de George O’Kill Stuart (1807-1884), propriétaire de la Holland Farm de 1843 à 1855 (note 3). Ce dernier fait démolir la vieille maison de Holland en 1848 et la remplace par un bâtiment d’inspiration néogothique imaginé par l’architecte Edward Staveley (1795-1872) (note 4). Les formes de la nouvelle demeure et son implantation dans le domaine sont typiques de l’organisation des villas conçues selon l’idéal pittoresque (note 5). La résidence demeure inchangée jusqu’au début du XXe siècle. 

Photographie représentant la maison Holland vers 1865 depuis l’entrée sinueuse accédant au chemin Sainte-Foy. (Source : Holland Farm, non daté, anonyme, tiré de James MacPherson Lemoine, Maple Leaves: Canadian History and Quebec Scenery,
Québec, Hunter, Rose & Company, 1865)

En 1909, le propriétaire Francis Ross (1837-1915) fait accroître le volume de la maison tout en conservant le bâtiment de 1848. Quatorze ans plus tard, son fils Frank William embauche Edward Black Staveley (1877-1969), petit-fils d’Edward, en vue de rajeunir l’apparence de la résidence. Le décor néogothique disparaît alors presque complètement.

Edward Black Staveley soumet en 1925 ce projet de transformation de la maison Holland
visant principalement à rajeunir son apparence extérieure. 
(Source : Changes to Holland House, 1925, Edward Black Staveley, Fonds Staveley, tiré de « Chemin Sainte-Foy ». Documents historiques numériques. Archives de la Ville de Québec, non daté)

À cette époque, la banlieue ouest de Québec est soumise à un mouvement d’urbanisation qui finit par atteindre le domaine Holland (note 6). Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, celui-ci se trouve désormais en territoire urbanisé. Frank William Ross, poursuivant la tradition familiale d’appui à l’hôpital Jeffery Hale, cède à l’institution, en 1951, une portion du domaine se trouvant du côté nord du chemin Sainte-Foy. C’est sur ce terrain que sera construit l’année suivante l’actuel établissement hospitalier. À la suite du décès de Ross en 1966, l’autre portion du domaine est morcelée. 

Vue aérienne de Saint-Sacrement en 1948.
Le domaine est totalement enclavé en milieu urbain. On remarque un terrain vierge situé à droite.
Il sera cédé en 1951 à l’hôpital Jeffery Hale afin que soit construit l’édifice actuel.
(Source :
 Vue aérienne de la paroisse Saint-Sacrement, 1948, W. B. Edwards,
Archives de la Ville de Québec, Fonds de W. B. Edwards inc., P012-N023768)

Dès 1967, la Young Women Christian Association y fait construire un édifice, ce qui nécessite la destruction de l’ancienne demeure des Ross. Dans les années 1970, un ambitieux complexe résidentiel et commercial, le complexe Samuel-Holland, accapare la partie orientale de l’ancien domaine. Une école et un édifice fédéral s’implanteront également sur le terrain. Seul le parc Samuel-Holland, inauguré en 1984 par la Ville, rappelle de nos jours l’ancienne villa et son aménagement paysager (note 7).

Vue de l’emplacement de l’ancien domaine Holland depuis l’intersection de l’avenue Holland
et du chemin Sainte-Foy. (Source : Jérôme Ouellet, 2016)
Notes

1  Selon la Coutume de Paris, la banlieue est « […] une lieue à l’entour de la Ville, au-dedans de laquelle se peut faire le ban, c’est-à-dire les proclamations de la Ville, et jusqu’où s’étend l’Échevinage & justice d’icelle ». Voir Marcel Trudel, Le terrier du Saint-Laurent en 1674, tome 1 : De la Côte-Nord au lac Saint-Louis, [Montréal], Éditions du Méridien, 1998, p. 183.
2  D’est en ouest, le domaine de Holland s’étendait, à son apogée, des actuelles avenues Thornhill et Louis-Fréchette à l’avenue Marguerite-Bourgeoys. Selon l’historienne de l’architecture France Gagnon Pratte, le domaine s’étendait des berges du fleuve à la rivière Saint-Charles.
3  Les répertoires odonymiques ne précisent pas la date d’ouverture de la rue Stuart (ou Stewart, selon certains relevés). En raison de son nom, on peut présumer qu’elle a été aménagée du temps où George O’Kill Stuart était propriétaire de la villa. Il semble que le vocable chemin Hollandait également existé au milieu du XIXesiècle. Une série d’annonces publiées en 1855 par le nouveau propriétaire de la Holland Farm, Robert Cassels, annonce la mise en vente de lots « on the Holland road ». Dans un plan réalisé vers 1867, l’ingénieur militaire Honorius Sisson Sitwell illustre le nouveau chemin. Il apparaît également 12 ans plus tard dans l’Atlas of the city and county of Quebecdressé par Henry Whitmer Hopkins. La rue Stuart sera renommée avenue Holland en 1918.
4  L’historien James MacPherson LeMoine signale ceci : « […] l’ancienne maison, construction française […] était placée sur un plateau plus rapproché du chemin de Ste.Foye que ne l’est la maison actuelle ». Voir James MacPherson LeMoine, « Nos maisons de campagne », Revue canadienne : tome second, Montréal, E. Sénécal, 1865, p. 232.
5  Ce mouvement esthétique, relevant du courant romantique, entraîne un changement dans la relation maison-jardin : « Le jardin n’est plus rigide et formel […], mais flou, irrégulier, formant un paysage complet dont la maison n’est plus qu’un élément. Il ne s’agit plus d’un paysage réglementé et dominé par la maison. » Concrètement, l’architecture des maisons « […] est donc modifiée pour répondre à ce désir de vivre en relation avec la nature : de vastes portes-fenêtres s’ouvrent sur tous les côtés, des piazzas s’étendent vers les pelouses, un grand vestibule permet de circuler librement vers l’extérieur. […] Le plan au sol délaisse la rigidité et la symétrie du néo-classique pour adopter des formes dans une irrégularité calculée ». Voir France Gagnon Pratte, L’architecture et la nature à Québec au dix-neuvième siècle : les villas, Québec, Musée du Québec et ministère des Affaires culturelles, 1980, p. 88-91.
6 Désignée sous le nom de Notre-Dame-de-Québec-banlieue, la municipalité est constituée en 1908 sous le nom de Ville-Montcalm puis fusionnée à la Cité de Québec cinq ans plus tard. Ce n’est qu’en 1988 que le quartier Saint-Sacrement est créé, à partir du quartier Montcalm.
7  Notons que le cottage Ross, c’est-à-dire l’ancienne résidence du chauffeur construite par la famille Ross en 1914, se trouvait jusqu’en 2017 près de l’hôpital Jeffery Hale. Cette résidence a été déménagée sur le terrain de la Cité Verte.

Sources et bibliographie  
« 1245, chemin Sainte-Foy ». Documents historiques numériques. Archives de la Ville de Québec, non daté.
« Avenue Holland ». Documents historiques numériques. Archives de la Ville de Québec, non daté.
« Chemin Sainte-Foy ». Documents historiques numériques. Archives de la Ville de Québec, non daté.
« Holland, avenue ». Répertoire des toponymes de la ville de Québec. Ville de Québec. Non daté.
« Samuel-Holland, parc ». Répertoire des toponymes de la ville de Québec. Ville de Québec. Non daté.
BLANCHET, Danielle et alMontcalm, Saint-SacrementNature et architecture : complices dans la ville, Québec, Ville de Québec, 1988, 75 pages. 
DIVISION DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE, CENTRE DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET URBAIN. Plan directeur quartier Saint-Sacrement : constats et orientations, Québec, Ville de Québec, 2001, 34 pages.
GAGNON PRATTE, France. L’architecture et la nature à Québec au dix-neuvième siècle : les villas, Québec, Musée du Québec et ministère des Affaires culturelles, 1980, 334 pages.
GELLY, Alain. Centre hospitalier Jeffery Hale’s Hospital Center 1865-1990, Québec, Centre hospitalier Jeffery Hale, 1990, 186 pages.
JUTRAS, Michel. « Holland House », Saint-Sacrement illustré, Conseil de quartier de Saint-Sacrement, 2016.
LE MOINE, James MacPherson. Maple Leaves: Canadian History and Quebec Scenery, Québec, Hunter, Rose & Company, 1865, 137 pages. 
LE MOINE, James MacPherson, « Nos maisons de campagne », Revue canadienne : tome second, Montréal, E. Sénécal, 1865, p. 232-235.

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