Chemin Sainte-Foy vers 1951

Chemin Sainte-Foy vers 1951
1951 Boucherie Bégin et les commerces avoisinants. Il s'agit d'une photographie représentant la boucherie Bégin située au 900, chemin Sainte-Foy, entre les avenues Saint-Sacrement et Marguerite-Bourgeoys. On y voit également les commerces avoisinants, dont la lingerie Leduc. Le cliché a été pris en direction nord. Fonds : Ville de Québec. Cote : Q-C1-14-N002934

vendredi 22 décembre 2017

La crèche des Soeurs du Bon-Pasteur

Cet article est le troisième d'une série de six recherches commandées à Rémi Guertin, Ph. D. Géographe, dans le cadre d'un Projet d'initiative du Conseil de quartier Saint-Sacrement et grâce au soutien financier du Conseil d'arrondissement de la Cité Limoilou.



La croissance rapide des faubourgs de Québec au cours du XIXe siècle a généré son lot de problèmes urbains et sociaux : contamination des puits et de la rivière Saint-Charles, épidémies à répétition, incendies qui dévorent les quartiers ouvriers, etc. (Hare et coll., 1987). Les enfants illégitimes et les enfants abandonnés ne manqueront pas de s’ajouter à cette longue liste de malheurs qui s’abattent sur la ville. D’ailleurs, différents organismes vont remuer ciel et terre pour venir en aide à ses enfants.


L’Hôtel-Dieu de Québec s’occupait, depuis 1801, des enfants illégitimes ou abandonnés. Mais à partir de 1845, faute de fonds, les enfants sont alors pris en charge par l’Hôpital Général de Montréal ou par les Sœurs grises. Consternés par le manque de ressources dédiées à la petite enfance en détresse, l’abbé Joseph Auclair — curé de Notre-Dame-de-Québec — et monseigneur Pierre-Flavien Turgeon vont mobiliser le milieu et obtenir la fondation, en 1852, de l’Hospice Saint-Joseph de la Maternité de Québec. La nouvelle, mais modeste institution est alors confiée aux soins de Mlle Marie Métivier et occupe une maison du faubourg Saint-Jean; en 1855, l’hospice déménage au coin des rues Ferland et Couillard. L’hospice accueillait les mères célibataires et les enfants, après leur naissance, étaient donnés en adoption ou envoyé à Montréal. Mais en dépit des efforts déployés, ces établissements ne parviennent pas à répondre aux besoins de la collectivité. Par exemple, en 1870, vingt-deux jeunes femmes s’étaient « constituées prisonnières pour pouvoir accoucher à la Prison de Québec et 50 autres ont été reçues à l’Hôpital de la Marine » (Bergeron, 2012, 2).


Face au drame d’une situation à laquelle ne parvient pas à répondre l’Hospice Saint-Joseph de la Maternité de Québec, les sœurs du Bon Pasteur sont invitées à ouvrir une seconde maternité, l’Œuvre de la Miséricorde qui s’installe aux côté de l’Hospice Saint-Joseph de la Maternité de Québec en 1874. Les deux organismes fusionnent en 1876 sous le nom d’Hospice de la Miséricorde; les Sœurs du Bon-Pasteur en assurent la direction. Le bâtiment de la rue Couillard est agrandi en 1878, « permettant à l’université Laval de donner ses cliniques d’obstétrique à l’Hospice de la Miséricorde » (idem, 3). Plus tard — en 1905, l’université Laval obtiendra « l’autorisation d’y tenir des cliniques pour l’enseignement des étudiants en médecine » (idem, 10).


De son côté, l’Hôtel-Dieu du Sacré-Cœur de Québec accueillait les enfants abandonnés. Les limites financières de l’Hôtel-Dieu vont toutefois contribuer en quelque sorte à l’ouverture d’une crèche pour recueillir les enfants délaissés ainsi que ceux nés à l’Hospice de la Miséricorde. C’est ainsi qu’est ouvert, en 1901, dans les locaux de la Maison-Mère des Sœurs du Bon-Pasteur, l’Hospice Bethléem, qui portera le nom de Maison des Saints-Anges de 1902 à 1908. Ce dernier déménage en 1902 au voisinage de l’Hospice de la Miséricorde. Enfin, en 1908 survient un autre don foncier et immobilier qui aura un impact sur le devenir de ces établissements (IPIR; BANQ; Bergeron, 2012).

Le Chemin Sainte-Foy accueillait à une époque plusieurs propriétés bourgeoises qui se distinguaient des fermes environnantes par leur nom : Teviot House, Westfield, Bijou, Hamwood, Hayfield, Belvidere House, Morton Lodge, Bannockburn, Hazel Cottage, Glenburnie, Balvenia, Holland House… 


Une d’entre elles, Broad Green voit défiler plusieurs propriétaires au fil des ans : Robert Cassels; Henry Benjamin et William McKay qui achètent en 1854 chacun une partie de la propriété de Cassels; Charles Sharples qui achète en 1861 la portion du domaine entre les mains de la succession Benjamin; l’année suivante, ce même Sharples acquiert la part de William McKay; au décès de Sharples, Martha Louise Hetrington acquiert la propriété avant de la vendre à Louis-Adolphe Robitaille en 1905. À cette époque, Broad Green comporte notamment des espaces cultivables et un verger.   


Le destin de la villa à proprement parler n’est pas clair. Mireille Bergeron, archiviste du Bon-Pasteur, confirme que la résidence qui apparaît sur une photo de 1908 est bel et bien la villa Broad Green (correspondance privée). Or, le bâtiment sur cette photo a tous les traits d’une villa suburbaine. Le plan de Sitwell pour sa part (1867), montre l’emprise au sol d’un bâtiment plutôt carré. Il y a donc lieu de penser que la (première?) villa Broad Green a été remplacée à un certain moment de son histoire par une villa suburbaine; cela mériterait d’être éventuellement tiré au clair.


Soulignons au passage que la villa suburbaine, qui fait son apparition dans le paysage vers 1875, était plutôt le fait d’une bourgeoisie qui avait réussi en affaires et qui aurait imité une élite qui était en périphérie de Québec depuis le tournant du XIXe siècle. À certains égards, la villa suburbaine annonce à sa façon certains ensembles résidentiels du XXe siècle (Mélançon, 1997; Guertin 2011).

Bref, cette longue litanie de propriétaires prend fin en 1907 lorsque Louis-Adolphe Robitaille fait don de Broad Green aux Sœurs du Bon-Pasteur. Et en 1908, « six religieuses, 26 bonnes et 125 bébés émigrent vers la campagne » (Ville de Québec). C’est ainsi que la crèche fut aménagée sur le chemin Sainte-Foy.

À leur arrivée en 1908, les sœurs transforment une dépendance en buanderie. En 1915 est bâtie une aile surnommée « la maison rouge », laquelle abrite notamment les dortoirs des enfants. Jusqu’à cette date, toute la maisonnée habitait « la maison grise » (Ville de Québec). 




Au tournant des années 1920, les sœurs font construire une grange, et plus tard un poulailler; les cultures du domaine soutiennent de toute évidence l’œuvre et ses jeunes pensionnaires. 


En 1922, la buanderie est reconstruite. En 1927, deux nouvelles ailes sont ajoutées : une première pour accueillir l’hôpital de la Miséricorde (la maternité), qui déménage sur le Chemin Sainte-Foy en 1929; une seconde pour héberger les enfants. La crèche, qui à une époque aurait été surnommée «berceauville» (CIEQ), est à nouveau agrandie en 1951 dans la foulée de l’ouverture d’une école de puériculture (1948). Autrement dit, l’extension du cadre bâti a exprimé le développement de nouvelles responsabilités et la nécessité de répondre à de nouveaux besoins.








Avec les années 1960 et la montée en puissance de l’État, ce dernier prend à sa charge les services de santé. Aussi, l’évolution des mœurs fait en sorte que les mères célibataires ne sont plus tenues de donner leur enfant en adoption. Bref, devant un certain nombre de transformations sociales importantes, la crèche ferme ses portes en 1972. Le domaine a tout récemment été transformé en complexe de copropriétés. Toujours est-il que de 1901 à 1972, la Crèche Saint-Vincent-de-Paul aura pris soin de 38 672 enfants et participé à l’adoption de 26 276 d’entre eux (Bergeron, 2012, 23).



Rémi Guertin Ph.D.
géographe


J’aimerais remercier madame Mireille Bergeron, archiviste du Bon-Pasteur, pour les photographies et les informations communiquées.





Références

BANQ (non daté), « Crèche Saint-Vincent de Paul [1901-1972] ». Guide des archives hospitalières de la région de Québec 1639-1970. Fonds consulté en décembre 2017 à http://www.banq.qc.ca/ressources_en_ligne/intruments_rech_archivistique/hopitaux/vincentPaul.html.

Bergeron, Mireille (2012), Historique sommaire de l’Hôpital de la Miséricorde et de la Crèche Saint-Vincent-de-Paul des Sœurs du Bon-Pasteur de Québec. Document inédit, Québec (http://www.soeursdubonpasteur.ca/files/Historique_sommaire_Creche_et_Misericorde__en_ligne.pdf).

Hare, John, Marc Lafrance et Thierry-David Ruddel (1987), Histoire de la ville de Québec, 1608-1871, Montréal, Boréal.

Centre interuniversitaire d’études québécoises (CIEQ), « Crèche Saint-Vincent-de-Paul (ancien Hospice Bethléem) ». Article publié sur le site Naître et grandir à Québec, 1850-1950 et consulté en décembre 2017 à http://expong.cieq.ca/institution.php?-institution=5.

Guertin, Rémi (2011), Québec, la capitale sans ville. Trois-Pistoles, Éditions Trois-Pistoles.

IPIR, « Les Sœurs du Bon-Pasteur de Québec et la Crèche Saint-Vincent-de-Paul ». Récit de pratique culturelle. Article publié sur le site Inventaire du patrimoine immatériel religieux du Québec  consulté en décembre 2017 à http://www.ipir.ulaval.ca/fiche.php?id=982.

IPIR, « L'œuvre des Sœurs du Bon-Pasteur auprès des mères célibataires à Québec ». Récit de pratique culturelle. Article publié sur le site Inventaire du patrimoine immatériel religieux du Québec consulté en décembre 2017 à http://www.ipir.ulaval.ca/fiche.php?id=966.

Mélançon, Yves (1997), L'aménagement des Parcs des Champs de Bataille et Victoria à Québec: une hypothèse structurale. Thèse de troisième cycle, Québec, Université Laval.

Ville de Québec (non daté), « Résidence Mgr-Lemay des Soeurs-du-Bon-Pasteur / Hôpital de la Miséricorde et crèche Saint-Vincent-de-Paul ». Patrimoine urbain - Fiche d'un bâtiment patrimonial, consulté en décembre 2017 à https://www.ville.quebec.qc.ca/culture_patrimoine/patrimoine/patrimoine_urbain/fiche.aspx?fiche=20812


Iconographie

H. S., Sitwell et William Francis Drummond (1867), Contoured plan of the environs of Quebec, Canada East, surveyed in 1865-6 under the direction of Lieut. H. S. Sitwell, R. E. and under the superintendence of Lieut. Col. Wm. F. Drummond Jervois, R. E., C. B., Southampton, Ordnance Survey Office (http://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2244440?docref=4O6tD8Xrln5ocwuab4k9Dg).

Underwriters' Survey Bureau (1957-1961), Insurance plan of the city of Quebec, volume 1. Toronto; Montreal : Underwriters' Survey Bureau Limited. Atlas consulté en décembre 2017 sur le site de la BANQ à http://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2244127?docref=O62L5OMJiB8rfHcjRODqhQ

Goad, Charles Edward (1922), Insurance plan of the city of Quebec, Canada.  Chas. E. Goad, civil engineer, Montréal, cartes en couleur, 65 cm. Atlas consulté en décembre 2017 sur le site de la BANQ à  http://numerique.banq.qc.ca/patrimoine/details/52327/2244201?docref=EyulTeg0T_qGTLm6A6y9wQ





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