Chemin Sainte-Foy vers 1951

Chemin Sainte-Foy vers 1951
1951 Boucherie Bégin et les commerces avoisinants. Il s'agit d'une photographie représentant la boucherie Bégin située au 900, chemin Sainte-Foy, entre les avenues Saint-Sacrement et Marguerite-Bourgeoys. On y voit également les commerces avoisinants, dont la lingerie Leduc. Le cliché a été pris en direction nord. Fonds : Ville de Québec. Cote : Q-C1-14-N002934

jeudi 30 janvier 2020

Le patrimoine bâti du quartier Saint-Sacrement

Dans le cadre d'une collaboration spéciale avec la Société historique de Québec, cet article publié dans la revue Québecensia en mai 2019 est repris intégralement sur le blogue Saint-Sacrement illustré. 

par Martin Dubois, consultant en patrimoine architectural

Du point de vue urbanistique et architectural, l’évolution du quartier Saint-Sacrement s’inscrit dans le grand courant d’urbanisation des villes nord-américaines du début du XXsiècle. L’interaction de divers acteurs tels le conseil municipal, les promoteurs immobiliers et les communautés religieuses a contribué au développement de ce quartier surtout résidentiel, mais parsemé d’immeubles institutionnels, religieux et commerciaux à l’architecture variée (note 1).

Le chemin Sainte-Foy, l’épine dorsale du quartier


En continuité de la rue Saint-Jean, le chemin Sainte-Foy, cette voie sinueuse apparue à la fin du XVIIe sièclepour rejoindre le village de Sainte-Foy, possède d’abord une vocation agricole. Le tracé fondateur se transforme, au cours du XIXe siècle, avec l’arrivée de grands propriétaires terriens issus de la bourgeoisie anglaise qui fuient alors la ville et les épidémies de choléra.Les villas estivales qui s’implantent sur de grands domaines deviennent rapidement des habitations permanentes. Morton Lodge, Bannockburn, Hazel Cottage, Glenburnie, Broad-Green, Holland et Rosewood sont parmi les principaux domaines de villégiature que l’on trouve d’est en ouest sur le chemin Sainte-Foy (note 2). Si ces villas sont maintenant toutes disparues, les limites de certains grands domaines sont encore imprégnées dans la trame urbaine grâce à d’importantes institutions qui ont pris la relève. À titre d’exemple, la Congrégation de Notre-Dame acquiert la villa Rosewood du domaine Bellevue en 1864. Un vaste couvent est érigé sur la propriété en 1872-1873. Cette école pour jeunes filles sera agrandie à plusieurs reprises, dont en 1960, pour devenir le collège Notre-Dame de Bellevue. Pour leur part, les Sœurs du Bon-Pasteur prennent possession de la villa Broad-Green en 1907 pour y établir l’Hôpital de la Miséricorde et la crèche Saint-Vincent-de-Paul, qui deviendra par la suite l’imposant complexe Monseigneur-Lemay. Le domaine Holland, devenu plus tard le domaine Ross, a quant à lui survécu jusque dans les années 1950. Les terrains au nord du chemin Sainte-Foy sont cédés pour la construction de l’hôpital Jeffery Hale, tandis que la partie sud est peu à peu subdivisée pour la construction d’une école, du YWCA, puis du complexe d’habitation Le Samuel-Holland. Une partie non construite de l’ancien domaine Ross a permis l’aménagement du parc Samuel-Holland. 


 Le couvent Notre-Dame-de-Bellevue au début du XXe siècle.
Cet immeuble, qui a perdu son élégant toit, est aujourd’hui caché derrière la partie moderne de l’ancien collège.
(Source : Paul Carpentier, 1948, BAnQ)

Parmi les autres propriétés institutionnelles du quartier Saint-Sacrement qui ont profité de grandes terres avant la densification résidentielle, notons l’Hôpital du Saint-Sacrement (1924-1927), le Collège Saint-Charles-Garnier (1933-1935) des Jésuites, implanté sur le boulevard Saint-Cyrille (René-Lévesque), ainsi que le Collège François-Xavier-Garneau, dont les édifices ont été bâtis par l’Université Laval. À l’étroit à l’intérieur du quartier latin dans le Vieux-Québec, l’Université achète en 1919 un grand terrain de 28 hectares appelé terrasse Dandurand, du nom de son ancien propriétaire, W.-H. Dandurand, dans le but d’y implanter ses facultés de sciences pures et appliquées. Après la construction de l’École de chimie (1925), de l’École des mines (1940-1941), puis du pavillon Monseigneur-Vachon (1948), l’Université Laval se rend compte que le terrain ne pourra satisfaire à ses besoins de plus en plus grands. Elle décide de déménager l’ensemble de ses activités sur un autre emplacement, à Sainte-Foy, où un campus moderne est érigé. Quelques années plus tard, avec la création des cégeps, le collège Garneau emménage dans les anciens pavillons universitaires. Il gère le site depuis.

 L’École de chimie de l’Université Laval implantée sur la terrasse Dandurand en 1925.
(Source : BAnQ)

Une nouvelle paroisse

En 1915, le cardinal Louis-Nazaire Bégin (1840-1925) donne aux religieux du Très-Saint-Sacrement l’autorisation de fonder à Québec une maison de noviciat, dont on compte aussi faire un centre de rayonnement eucharistique. On leur confie également la destinée de la nouvelle paroisse du Très-Saint-Sacrement. À leur établissement, les pères se portent acquéreurs d’un terrain sur le coteau Sainte-Geneviève, propriété du député conservateur Victor Châteauvert.



La première église du Très-Saint-Sacrement et le noviciat des Pères, vers 1920.
Déplacée, l’église servira plus tard de salle paroissiale.
(Photo : Thaddée Lebel, Archives de la Ville de Québec)

Dès leur arrivée en 1915, les religieux font bâtir une petite église de bois en bordure du chemin Sainte-Foy. Revêtue de bardeaux d’amiante-ciment, cette église temporaire est destinée à être remplacée rapidement, quand les fonds seront suffisants. Comme prévu, elle est déplacée au nord-est du terrain, près de l’avenue du Père-Pelletier, pour faire place à l’église actuelle, construite en 1920-1924. La nouvelle église, œuvre de l’architecte Charles Bernier, est d’inspiration néomédiévale française et devient dès lors l’un des principaux points de repère de la haute-ville avec ses deux clochers caractéristiques (note 3).



L’église du Très-Saint-Sacrement. (Photo : Martin Dubois)

Le lotissement résidentiel 
Au début du XXe siècle, le lotissement du futur quartier Saint-Sacrement s’inscrit dans un grand mouvement de spéculation. Ainsi, l’exiguïté et l’insalubrité des faubourgs poussent les résidents vers la périphérie, là où il y a davantage d’espace. Après le quartier Montcalm, c’est le secteur situé au sommet de l’avenue Saint-Sacrement qui voit la construction domiciliaire s’accélérer. Le principal facteur qui influence le développement de ce quartier est la proximité des industries de Saint-Malo en basse-ville, permettant l’établissement d’une population ouvrière.
Dès 1909, la compagnie immobilière Montcalm Land aménage, en vue de la construction d’habitations, un vaste terrain situé à l’extrémité ouest de Ville-Montcalm et compris aujourd’hui entre l’avenue Holland à l’est, le boulevard Laurier au sud, l’avenue Eymard à l’ouest et le sommet du coteau au nord. Traversé par le chemin Sainte-Foy, ce terrain n’est alors qu’un immense champ sans infrastructures urbaines ni services publics. Plusieurs facteurs expliquent pourquoi la compagnie désire mettre en valeur cet endroit. Dans l’esprit de son directeur, Rodolphe Forget, également député conservateur fédéral, la croissance rapide de Québec ne peut qu’amener une vaste clientèle d’ouvriers intéressés par la construction des usines dans Saint-Malo. De même, l’extension du réseau de tramway de la Quebec Railway, Light, Heat and Power, dont Forget est l’un des principaux dirigeants, permet de relier les terrains de la Montcalm Land à Québec. En effet, après une première ligne de tramways implantée à Sillery en 1910, une nouvelle ligne dessert l’avenue Marguerite-Bourgeoys et la rue Garnier jusqu’à l’avenue Marois à partir de 1926. Les autres infrastructures urbaines (ouverture et pavage de rues, réseau d’aqueduc et d’égout, éclairage) sont pour leur part à la charge de la municipalité. Entre 1910 et 1913, la Montcalm Land fait construire quelques maisons modèles sur l’avenue Marguerite-Bourgeoys pour stimuler la vente de terrains. Ces duplex, maisons en rangée ou à logements apparaissent dans les publicités pour promouvoir le développement de ce nouveau quartier (note 4).

L’une des maisons modèles, comprenant quatre logements, que la Montcalm Land fait construire en 1913
sur l’avenue Marguerite-Bourgeoys pour stimuler ses ventes de terrains.
(Photo : Martin Dubois)

La compagnie immobilière Les Habitations Bellevue est quant à elle à l’œuvre sur une partie du terrain de la terrasse Dandurand. Sur les lots de la rue Garnier et du boulevard de l’Entente, entre les avenues Eymard et Marois, la compagnie bâtit une trentaine de maisons d’une valeur de 4500 $ à 5000 $. Sur le plan architectural, la compagnie Les Habitations Bellevue privilégie les maisons jumelées qui empruntent au courant Arts and Crafts. 

Maisons jumelées d’inspiration Arts and Crafts construites vers 1922 sur le boulevard de l’Entente par Les Habitations Bellevue.
(Photo : Martin Dubois)

Après un petit boom de construction dans les années 1910 et 1920, le développement s’essouffle. Ce n’est réellement qu’après la crise économique et la Seconde Guerre mondiale que Saint-Sacrement connaît un développement urbain intensif qui changera son visage. On y trouve de belles maisons typiques de l’après-guerre implantées sur des rues orthogonales bordées de majestueuses rangées d’arbres. Ces rues portent des noms de personnages historiques (Marie-Rollet, Frontenac, De Callières, De Longueuil, De Repentigny, etc.).
En 1943 est fondé un syndicat coopératif qui prend le nom d’Habitation familiale de Saint-Sacrement.Cette coopérative a pour but de rendre la propriété accessible aux familles tout en freinant le mouvement de spéculation foncière. La coopérative acquiert des terrains qu’elle vend ensuite à des particuliers à qui elle interdit la revente avec profit tant qu’existe la coopérative. En 1946, l’Habitation familiale achète des religieuses de Bellevue une bande de terre sur laquelle sera tracée l’avenue Eymard. Les religieuses acceptent la transaction en spécifiant ceci dans l’acte de vente : « L’acquéreur ne devra permettre la construction que pour des maisons familiales à logement unique et enlignées les unes vis-à-vis des autres, à des gens ou citoyens de bonne réputation, tant au point de vue moral que social (note 5). »
L’Habitation familiale se porte ensuite acquéreur des terrains laissés vacants par la compagnie Queen City Realty, qui a tenté, au début du siècle, de lotir des terres à l’ouest de Bellevue, le long des avenues Madeleine-De Verchères et Painchaud; elle voulait en faire un quartier chic et résidentiel, l’Eastmount Park, comparable au Westmount de Montréal. La Queen City Realty avait péché par excès d’optimisme quant au développement économique que devait connaître la région et n’a pas eu le succès escompté. L’Habitation familiale poursuit ensuite ses activités du côté des avenues Ernest-Gagnon, Sir-Adolphe-Routhier et Louis-Fréchette, dont l’uniformité des constructions, toutes unifamiliales, témoigne du principe de base de la coopérative : « une maison pour chaque famille (note 6) ».

Un quartier en constante évolution 
Le vent de modernité qui a balayé le Québec durant les années 1960 à 1980 n’a pas épargné le quartier, qui a vu apparaître quelques tours de bureaux et de logements. Par la suite, la vente progressive de propriétés de communautés religieuses a permis de poursuivre la densification du quartier. La résidence Monseigneur-Lemay des Sœurs du Bon-Pasteur, autrefois maternité, crèche, orphelinat et école, a été réhabilitée en écoquartier, la Cité Verte, dont le développement se poursuit actuellement. La propriété de l’ancien collège Bellevue a également été lotie ces dernières années. Après l’ensemble la Cité Bellevue construit dans les années 1980, de nouveaux bâtiments résidentiels apparaissent actuellement autour de l’ancien établissement d’enseignement. La venue de complexes immobiliers destinés aux retraités change également le paysage urbain, notamment sur les terrains du Jeffery Hale. Le secteur commercial du chemin Sainte-Foy, entre la rue Holland et l’école primaire, conserve toutefois son aspect de « village » avec ses commerces de proximité qui résistent aux grandes surfaces des quartiers en périphérie. Bref, le quartier Saint-Sacrement continue d’évoluer tout en préservant un patrimoine bâti qui témoigne de ses phases de développement

  Certaines parties de l’ancienne maison Monseigneur-Lemay des Sœurs du Bon-Pasteur
ont été recyclées en logements et en espaces commerciaux dans le cadre du projet de la Cité Verte.
(Photo : Martin Dubois)


Notes
1.     Cet article est en grande partie inspiré des travaux de Martin Dubois et de Patri-Arch menés dans le cadre d’un inventaire du patrimoine bâti des quartiers de Sainte-Foy, Sillery et Saint-Sacrement réalisé pour la Ville de Québec en 2012.
2.     Pour en connaître davantage sur ces grandes propriétés, consulter l’ouvrage L’architecture et la nature à Québec au dix-neuvième siècle : les villasde France Gagnon-Pratte, édité en 1980 par le Musée du Québec et le ministère des Affaires culturelles. 
3.     Luc Noppen et Lucie K. Morisset, Foi et patrie : art et architecture des églises à Québec, Les Publications du Québec, 1996, p. 130-131.
4.     Danielle Blanchet et al.Montcalm, Saint-Sacrement. Nature et architecture : complices dans la ville, Ville de Québec, 1988, p. 28-30.
5.     Ibid., p. 31.
6.     Ibid., p. 31.

mercredi 1 janvier 2020

Saint-Sacrement à l'ère des villas: le domaine Holland

Dans le cadre d'une collaboration spéciale avec la Société historique de Québec, cet article publié dans la revue Québecensia en mai 2019 est repris intégralement sur le blogue Saint-Sacrement illustré. 

par Jérôme Ouellet, historien



Au lendemain de la Conquête de la Nouvelle-France, plusieurs officiers et marchands britanniques profitent du départ de l’élite coloniale française pour acquérir des biens fonciers dans la région de Québec. C’est le cas de Samuel Johannes Holland (1728-1801), militaire néerlandais ayant offert ses services à la Grande-Bretagne. En 1767, il achète, dans la banlieue (note 1) de Québec, des terres sur lesquelles se trouve une résidence construite par le marchand Jean Taché vers 1740. 

Portrait présumé de Samuel Holland. (Source : Major Samuel Holland Surveyor General,
anonyme, photo par Neuville Bazin, 1950, BAnQ, Fonds ministère de la Culture et des Communications)

Ce domaine agricole, agrandi notamment par l’acquisition de la portion nord de la châtellenie de Coulonge, sera connu sous le nom de Holland Farm. Holland laissera également son nom à sa résidence, qu’il dotera d’ornements caractéristiques du style néoclassique alors à la mode : fronton, pilastres et rotonde. C’est dans cet état que les aquarellistes Cockburn et Grant représentent le bâtiment dans la première moitié du XIXe siècle.

Vue de la maison et du domaine Holland vers 1840. (Source : Holland House, St. Foye Road, QuebecJ. Grant, vers 1840, Bibliothèque et Archives Canada)

Au gré des héritages et des transactions, la taille du domaine rétrécit (note 2). Une nouvelle voie reliant les chemins Sainte-Foy et Saint-Louis est aménagée sur les anciennes terres de Holland. On la nommera en l’honneur de George O’Kill Stuart (1807-1884), propriétaire de la Holland Farm de 1843 à 1855 (note 3). Ce dernier fait démolir la vieille maison de Holland en 1848 et la remplace par un bâtiment d’inspiration néogothique imaginé par l’architecte Edward Staveley (1795-1872) (note 4). Les formes de la nouvelle demeure et son implantation dans le domaine sont typiques de l’organisation des villas conçues selon l’idéal pittoresque (note 5). La résidence demeure inchangée jusqu’au début du XXe siècle. 

Photographie représentant la maison Holland vers 1865 depuis l’entrée sinueuse accédant au chemin Sainte-Foy. (Source : Holland Farm, non daté, anonyme, tiré de James MacPherson Lemoine, Maple Leaves: Canadian History and Quebec Scenery,
Québec, Hunter, Rose & Company, 1865)

En 1909, le propriétaire Francis Ross (1837-1915) fait accroître le volume de la maison tout en conservant le bâtiment de 1848. Quatorze ans plus tard, son fils Frank William embauche Edward Black Staveley (1877-1969), petit-fils d’Edward, en vue de rajeunir l’apparence de la résidence. Le décor néogothique disparaît alors presque complètement.

Edward Black Staveley soumet en 1925 ce projet de transformation de la maison Holland
visant principalement à rajeunir son apparence extérieure. 
(Source : Changes to Holland House, 1925, Edward Black Staveley, Fonds Staveley, tiré de « Chemin Sainte-Foy ». Documents historiques numériques. Archives de la Ville de Québec, non daté)

À cette époque, la banlieue ouest de Québec est soumise à un mouvement d’urbanisation qui finit par atteindre le domaine Holland (note 6). Au lendemain de la Seconde Guerre mondiale, celui-ci se trouve désormais en territoire urbanisé. Frank William Ross, poursuivant la tradition familiale d’appui à l’hôpital Jeffery Hale, cède à l’institution, en 1951, une portion du domaine se trouvant du côté nord du chemin Sainte-Foy. C’est sur ce terrain que sera construit l’année suivante l’actuel établissement hospitalier. À la suite du décès de Ross en 1966, l’autre portion du domaine est morcelée. 

Vue aérienne de Saint-Sacrement en 1948.
Le domaine est totalement enclavé en milieu urbain. On remarque un terrain vierge situé à droite.
Il sera cédé en 1951 à l’hôpital Jeffery Hale afin que soit construit l’édifice actuel.
(Source :
 Vue aérienne de la paroisse Saint-Sacrement, 1948, W. B. Edwards,
Archives de la Ville de Québec, Fonds de W. B. Edwards inc., P012-N023768)

Dès 1967, la Young Women Christian Association y fait construire un édifice, ce qui nécessite la destruction de l’ancienne demeure des Ross. Dans les années 1970, un ambitieux complexe résidentiel et commercial, le complexe Samuel-Holland, accapare la partie orientale de l’ancien domaine. Une école et un édifice fédéral s’implanteront également sur le terrain. Seul le parc Samuel-Holland, inauguré en 1984 par la Ville, rappelle de nos jours l’ancienne villa et son aménagement paysager (note 7).

Vue de l’emplacement de l’ancien domaine Holland depuis l’intersection de l’avenue Holland
et du chemin Sainte-Foy. (Source : Jérôme Ouellet, 2016)
Notes

1  Selon la Coutume de Paris, la banlieue est « […] une lieue à l’entour de la Ville, au-dedans de laquelle se peut faire le ban, c’est-à-dire les proclamations de la Ville, et jusqu’où s’étend l’Échevinage & justice d’icelle ». Voir Marcel Trudel, Le terrier du Saint-Laurent en 1674, tome 1 : De la Côte-Nord au lac Saint-Louis, [Montréal], Éditions du Méridien, 1998, p. 183.
2  D’est en ouest, le domaine de Holland s’étendait, à son apogée, des actuelles avenues Thornhill et Louis-Fréchette à l’avenue Marguerite-Bourgeoys. Selon l’historienne de l’architecture France Gagnon Pratte, le domaine s’étendait des berges du fleuve à la rivière Saint-Charles.
3  Les répertoires odonymiques ne précisent pas la date d’ouverture de la rue Stuart (ou Stewart, selon certains relevés). En raison de son nom, on peut présumer qu’elle a été aménagée du temps où George O’Kill Stuart était propriétaire de la villa. Il semble que le vocable chemin Hollandait également existé au milieu du XIXesiècle. Une série d’annonces publiées en 1855 par le nouveau propriétaire de la Holland Farm, Robert Cassels, annonce la mise en vente de lots « on the Holland road ». Dans un plan réalisé vers 1867, l’ingénieur militaire Honorius Sisson Sitwell illustre le nouveau chemin. Il apparaît également 12 ans plus tard dans l’Atlas of the city and county of Quebecdressé par Henry Whitmer Hopkins. La rue Stuart sera renommée avenue Holland en 1918.
4  L’historien James MacPherson LeMoine signale ceci : « […] l’ancienne maison, construction française […] était placée sur un plateau plus rapproché du chemin de Ste.Foye que ne l’est la maison actuelle ». Voir James MacPherson LeMoine, « Nos maisons de campagne », Revue canadienne : tome second, Montréal, E. Sénécal, 1865, p. 232.
5  Ce mouvement esthétique, relevant du courant romantique, entraîne un changement dans la relation maison-jardin : « Le jardin n’est plus rigide et formel […], mais flou, irrégulier, formant un paysage complet dont la maison n’est plus qu’un élément. Il ne s’agit plus d’un paysage réglementé et dominé par la maison. » Concrètement, l’architecture des maisons « […] est donc modifiée pour répondre à ce désir de vivre en relation avec la nature : de vastes portes-fenêtres s’ouvrent sur tous les côtés, des piazzas s’étendent vers les pelouses, un grand vestibule permet de circuler librement vers l’extérieur. […] Le plan au sol délaisse la rigidité et la symétrie du néo-classique pour adopter des formes dans une irrégularité calculée ». Voir France Gagnon Pratte, L’architecture et la nature à Québec au dix-neuvième siècle : les villas, Québec, Musée du Québec et ministère des Affaires culturelles, 1980, p. 88-91.
6 Désignée sous le nom de Notre-Dame-de-Québec-banlieue, la municipalité est constituée en 1908 sous le nom de Ville-Montcalm puis fusionnée à la Cité de Québec cinq ans plus tard. Ce n’est qu’en 1988 que le quartier Saint-Sacrement est créé, à partir du quartier Montcalm.
7  Notons que le cottage Ross, c’est-à-dire l’ancienne résidence du chauffeur construite par la famille Ross en 1914, se trouvait jusqu’en 2017 près de l’hôpital Jeffery Hale. Cette résidence a été déménagée sur le terrain de la Cité Verte.

Sources et bibliographie  
« 1245, chemin Sainte-Foy ». Documents historiques numériques. Archives de la Ville de Québec, non daté.
« Avenue Holland ». Documents historiques numériques. Archives de la Ville de Québec, non daté.
« Chemin Sainte-Foy ». Documents historiques numériques. Archives de la Ville de Québec, non daté.
« Holland, avenue ». Répertoire des toponymes de la ville de Québec. Ville de Québec. Non daté.
« Samuel-Holland, parc ». Répertoire des toponymes de la ville de Québec. Ville de Québec. Non daté.
BLANCHET, Danielle et alMontcalm, Saint-SacrementNature et architecture : complices dans la ville, Québec, Ville de Québec, 1988, 75 pages. 
DIVISION DE L’AMÉNAGEMENT DU TERRITOIRE, CENTRE DE DÉVELOPPEMENT ÉCONOMIQUE ET URBAIN. Plan directeur quartier Saint-Sacrement : constats et orientations, Québec, Ville de Québec, 2001, 34 pages.
GAGNON PRATTE, France. L’architecture et la nature à Québec au dix-neuvième siècle : les villas, Québec, Musée du Québec et ministère des Affaires culturelles, 1980, 334 pages.
GELLY, Alain. Centre hospitalier Jeffery Hale’s Hospital Center 1865-1990, Québec, Centre hospitalier Jeffery Hale, 1990, 186 pages.
JUTRAS, Michel. « Holland House », Saint-Sacrement illustré, Conseil de quartier de Saint-Sacrement, 2016.
LE MOINE, James MacPherson. Maple Leaves: Canadian History and Quebec Scenery, Québec, Hunter, Rose & Company, 1865, 137 pages. 
LE MOINE, James MacPherson, « Nos maisons de campagne », Revue canadienne : tome second, Montréal, E. Sénécal, 1865, p. 232-235.

vendredi 8 novembre 2019

L'héritage du collège des Jésuites

Dans le cadre d'une collaboration spéciale avec la Société historique de Québec, cet article publié dans la revue Québecensia en mai 2019 est repris intégralement sur le blogue Saint-Sacrement illustré. 

par Gabriel Boivin, président de l’Association des Anciennes et des Anciens du Collège Saint-Charles-Garnier (C’2016)




Le quartier Saint-Sacrement possède d’innombrables richesses. L’édifice du Collège Saint-Charles-Garnier en constitue un élément patrimonial incontournable. Érigé en 1935, il est le digne successeur du collège des Jésuites, premier établissement d’enseignement en Amérique du Nord. Celui-ci avait été construit sur l’emplacement actuel de l’hôtel de ville (note 1) en 1635, soit 10 ans après l’arrivée en Nouvelle-France des premiers missionnaires jésuites, qui s’employaient principalement à éduquer les jeunes de la colonie.

Pour des raisons politico-religieuses, l’enseignement par les Jésuites au Québec a été interrompu pendant un peu plus d’un siècle. Après le décès du père Casot en 1800, les Jésuites ont été absents de la colonie jusqu’au début des années 1840 (note 2). En 1930, les Jésuites sont revenus à leur mission d’éducation des jeunes canadiens-français à Québec. Tout d’abord logés dans le presbytère de la paroisse Notre-Dame-du-Chemin (note 3), les pères ont jugé bon d’avoir pignon sur rue et ont inauguré l’édifice actuel le 25 septembre 1935 (note 4). Fait intéressant concernant la construction : le collège devait initialement être bâti en brique, mais en raison d’un grand risque de chômage dans une carrière près de Québec, les Jésuites ont offert de l’emploi à 20 tailleurs de pierre et obtenu ainsi du granit au prix de la brique. En vue de l’inauguration, on a gravé dans la pierre et dans l’histoire l’inscription suivante : « COLLÈGE DES JÉSUITES – SAINT-CHARLES-GARNIER ». Pour doter l’établissement d’un écusson et d’une devise, sculptés dans le bois à l’entrée du collège, le révérend père Olivier Hudson-Beaulieu s’est inspiré des armoiries de la famille de saint Ignace de Loyola, fondateur de la Compagnie de Jésus, et d’un psaume synthétisé en deux mots : Scutum Veritas (note 5).


Collège Saint-Charles Garnier : la façade rappelle les dates importantes de l’institution.
(Source : Sylvain Brousseau, 2012, 
Wikimedia commons)
 

À sa construction, le collège n’avait pas l’ampleur architecturale actuelle. Un premier agrandissement, à l’est, construit de 1952 à 1954 sous l’égide du révérend père Paul Mayer, abrite plusieurs salles de classe, des bureaux et une salle de spectacle. Celle-ci est appelée salle Marquettejusqu’en 1991, année où on inaugure une salle qu’on a complètement transformée pour en augmenter l’utilisation. Un ancien, Jean-Paul Tardif (C’1943) (note 6), apporte une contribution importante au projet. C’est pourquoi la salle est nommée en son honneur. Dans les années 1950, le Collège se dote aussi d’une bibliothèque grâce à un don de Lucien Moraud, sénateur de 1933 à 1951.

De plus, les deux imposants gymnases à l’arrière du collège sont apparus plus tard. Les jeunes sportifs ont dû attendre 1963 pour qu’une première salle destinée au sport fasse son apparition : le gymnase Paul-Émile-Côté. Grâce à une importante campagne de financement lancée en 1960, dont l’un des principaux artisans donnera son nom à la palestre (note 7), le Collège Saint-Charles-Garnier se dote d’installations sportives contemporaines. Comme il s’agit du premier gymnase moderne de la ville de Québec, plusieurs compétitions de haut niveau s’y tiennent, et ce jusqu’à l’arrivée du Pavillon de l’éducation physique et des sports (PEPS) de l’Université Laval en 1971. Quant au deuxième gymnase, il est inauguré le 4 septembre 1987 grâce à la participation financière de deux anciens, Paul et Denis Jalbert (C’1938 et 1964). Récemment, ces lieux d’activité physique et d’accueil des élèves ont subi une importante mise à niveau. Depuis septembre 2018, les élèves peuvent profiter du fruit de ces rénovations orchestrées par l’architecte et ancienne Élizabeth Bouchard (C’1994).


Évidemment, le Collège Saint-Charles-Garnier n’a pas connu que des améliorations physiques. D’autres importantes transformations, notamment éducatives, ont eu lieu, particulièrement dans la deuxième partie du XXe siècle. L’abandon du cours classique – qui avait d’ailleurs été apporté en Nouvelle-France par les Jésuites –, dans le contexte de la création des cégeps, constitue un changement majeur pour le Collège : pour la première fois, des collégiennes déambulent dans les corridors de l’établissement! Toutefois, les garçons verront bientôt avec chagrin les filles quitter le Collège. La section collégiale déménagera quelques rues plus loin, pour fonder le Cégep François-Xavier Garneau, aujourd’hui Cégep Garneau. Il s’en suit une période creuse pour les inscriptions qui, dans la foulée de cette transition, passent de 1000 à 435. Plus tard, en 1981, alors que les Jésuites avancent en âge et que leur nombre diminue, une organisation laïque appelée Le Collège Saint-Charles-Garnierprend les rênes de l’école. Cependant, les Jésuites demeurent propriétaires de l’établissement jusqu’en 1987. Le changement de direction entraîne la naissance de la Fondation du Collège en 1982 et, en septembre 1984, pour la première fois, des filles font leur entrée au secondaire.

Bien que 384 ans se soient écoulés et que l’édifice ait changé, l’institution est restée. Les éducateurs continuent, d’année en année et jour après jour, d’instruire et d’éduquer des jeunes de manière rigoureuse en leur transmettant la vision d’une vie qui doit être vécue pour et avec les autres en visant toujours l’excellence et le dépassement de soi.

Si vous passez par le quartier Saint-Sacrement, n’hésitez pas à vous arrêter au collège et prenez le temps d’admirer le bâtiment. Si on vous ouvre la porte, laissez-vous imprégner par l’histoire et la richesse architecturale des lieux. Tendez attentivement l’oreille. Peut-être entendrez-vous en écho les enseignements d’un père jésuite ou encore les premiers débats de personnalités marquantes pour le Québec…


(Source : Collection Alex Tremblay Lamarche)
Notes

1   Encore aujourd’hui, devant l’hôtel de ville de Québec, où on honore l’œuvre des Jésuites, il est possible d’apercevoir la pierre frontispice du vieux collège des Jésuites portant l’inscription IHS. 
2  À la suite de la Conquête, les Britanniques interdisent aux Jésuites tout recrutement. Plusieurs religieux rentrent en France, de sorte que leurs effectifs diminuent. Le Collège doit fermer en 1776. En 1773, le pape avait aboli l’ordre. Le père Jean Casot, le dernier jésuite survivant à Québec, meurt en 1800. L’ordre est restauré en 1814 et les Jésuites reviennent au pays en 1842.
3  Situés sur l’avenue des Érables, l’église et le presbytère ont malheureusement été démolis en 1999.
4  Informations tirées de : Les Jésuites, pionniers de l’enseignement au Canada (1635-1985), Québec, 8 décembre 1984. Publié pour le 350e anniversaire du Collège, ce document comprend la retranscription d’émissions radiophoniques diffusées en 1950 pour promouvoir une campagne de financement visant à agrandir l’édifice (la Société historique de Québec avait d’ailleurs collaboré à la réalisation de ces émissions). À cette retranscription s’ajoutent des renseignements recueillis entre 1950 et 1984. Une véritable mine d’information pour qui s’intéresse à l’histoire du Collège! Il est possible d’en consulter un exemplaire aux archives du Collège Saint-Charles-Garnier.
5  « Mon bouclier c’est la vérité. »
6  « C’ » renvoie à la cohorte, à l’année d’obtention du diplôme de l’élève. 
7  Paul-Émile Côté a été propriétaire de la Laiterie Laval – aujourd’hui Natrel.Il a aussi été un important donateur pour le Collège, et ce à partir des années 1940, alors que ses deux fils fréquentaient l’établissement. À l’image de leur père, Pierre et Jacques Côté ont également aidé leur alma mater une fois devenus associés de leur père.