Chemin Sainte-Foy vers 1951

Chemin Sainte-Foy vers 1951
1951 Boucherie Bégin et les commerces avoisinants. Il s'agit d'une photographie représentant la boucherie Bégin située au 900, chemin Sainte-Foy, entre les avenues Saint-Sacrement et Marguerite-Bourgeoys. On y voit également les commerces avoisinants, dont la lingerie Leduc. Le cliché a été pris en direction nord. Fonds : Ville de Québec. Cote : Q-C1-14-N002934

dimanche 4 mars 2018

Le tramway dans Saint-Sacrement





Cet article est le sixième et dernier d'une série de six recherches commandées à Rémi Guertin, Ph. D. Géographe, dans le cadre d'un Projet d'initiative du Conseil de quartier Saint-Sacrement et grâce au soutien financier du Conseil d'arrondissement de la Cité Limoilou.


Quelques points de repère en guise d’introduction
En 1863, la Quebec Street Railway Co. obtient l’autorisation d’implanter un réseau de tramways hippomobiles sur rails de bois. En 1878, une autre entreprise, la St. John Street Railway, fait circuler des voitures similaires en haute-ville, jusqu’à la rue Cartier. 



En 1897, la Quebec District Railway met en service un tramway électrique. Ce tramway, qui roule sur des rails de fer, dessert deux circuits — du marché Champlain à la rue de l’Aqueduc; du Château Frontenac à l’avenue des Érables en empruntant les Saint-Jean et la Grande Allée — tout en assurant une liaison entre la haute et la basse ville. 


Plus tard, une série de fusions mène à la consolidation de la Quebec Light Rail & Power Co. (1890). Les voitures de la nouvelle compagnie, fabriquées à New York, peuvent accueillir jusqu’à 27 passagers. On dit également qu’elles étaient munies de chaufferettes. 


Le tramway électrique disparaît de Québec à la fin des années 1940, étant graduellement remplacé par un service d’autobus implanté à partir de 1937; la dernière ligne de tramway est celle du quartier Saint-Sauveur, laquelle fut fermée le 26 mai 1948.

Propriétés foncières, promoteurs et tramways
Quelques compagnies foncières s’étaient implantées à l’ouest de Québec, et notamment la Montcalm Land. Ce qui retient d’emblée notre attention, c’est le nom du dirigeant de cette dernière : Rodolphe Forget. Député de Charlevoix à la Chambre des Communes entre 1904 et 1917, Rodolphe Forget fut un homme d’affaires influent de la région de Montréal. 


Non seulement était-il lié à la Montcalm Land, mais il avait participé à l’achat de la Compagnie du Gaz de Québec et à la création de la Quebec Railway, Light, Heat and Power Company. Avec cette entreprise, « il tenta de reproduire le modèle de la Montreal Light, Heat and Power Company », c’est-à-dire établir un monopole dans le domaine de la distribution d’électricité (Jedwab, non daté). Saint-Sacrement était donc à la fois témoin et objet d’une coïncidence — pour ne pas dire d’une puissante fusion — entre les pouvoirs foncier, financier et industriel. Il faut dire que le monde des affaires et de la politique à cette époque constitue un espace plutôt étroit (encore aujourd’hui?). Par exemple, maire de Québec (1870 – 1874), président de la chambre de commerce de Québec et député de l’Assemblée nationale, Pierre Garneau fut président de la Quebec Street Railway Co. de 1863 à 1878. Dans un tel contexte de proximité politico-financière, il ne faut pas s’étonner si, à partir de 1910, le service de tramway est prolongé en direction des terrains des spéculateurs de l’ouest.




Soutenir le développement urbain pour assurer la rentabilité du tramway… et vice-versa!
Si la Quebec Land cible le secteur de Saint-Sacrement, c’est possiblement en raison de la proximité du nouveau parc industriel Saint-Malo. Les promoteurs espéraient peut-être que les ouvriers d’en bas viendraient s’installer en haut (Patri-Arch, 2012). Aussi, la côte Saint-Sacrement, qui permet de lier ensemble différentes voies de communication et, plus largement, les deux villes de Québec (la haute et la basse), pouvait contribuer à la dynamique du développement du nouveau quartier.

Pour une époque où l’automobile n’est pas encore généralisée, Saint-Sacrement se trouve à bonne distance du pôle de Québec. Dans cette perspective, le tramway représentait une alternative des plus intéressantes pour espérer un développement rapide du secteur. Bref, pour ces promoteurs-industriels-spéculateurs, le prolongement du tramway vers l’ouest aurait été fait pour assurer un lien plus fort entre leurs investissements fonciers, industriels (électricité) et commerciaux (tramway) et le marché qu’ils cherchent à développer. 


Ainsi, en 1926 le tramway est prolongé vers Saint-Sacrement à partir du boulevard Saint-Cyrille (René-Lévesque), où passe depuis 1910 la ligne desservant Sillery. De Saint-Cyrille, le tramway empruntait l’avenue Marguerite-Bourgeoys et la rue Garnier, jusqu’à l’avenue Marois (idem, 24-25).


Mais en dépit d’un service quotidien de tramway, le développement de Saint-Sacrement s’essouffle après un premier boom de construction survenu autour de 1910 (idem, 25). Est-ce à dire que le quartier était (encore) trop loin de Québec? Toujours est-il que cette observation est intéressante, car elle se trouve à relativiser l’impact présumé de certains équipements dits structurants sur l’urbanisation; si une hirondelle peut faire le printemps, ce n’est pas un investissement ou un équipement qui peut nécessairement faire la ville...

Des anecdotes
Le 12 août 1925, les journaux de Québec font état de la construction d’une voie ferrée sur la rue Garnier pour le transport de la pierre utilisée pour la construction de la maison des Frères des Écoles chrétiennes (chemin Sainte-Foy). Le transport de la pierre était autorisé à condition qu’il n’ait pas d’impact sur le transport en commun.

Un petit article paru dans la chronique La vie courante de l’Action nationale de février 1933 nous permet d’entrevoir le genre d’ambiance qui pouvait régner dans une voiture de tramway roulant sur le circuit de Saint-Sacrement; l’auteur écrit : « Comment habituer les enfants aux vocables français lorsqu’ils voient l’anglais régner en maître dans le commerce? […] Un tramway de Québec — Basse-Ville-Saint-Sacrement — m’offrit récemment un champ d’observation identique [à ce que l’auteur avait vu à Montréal]. Je comptai quatorze annonces [anglaises]. Il n’y en avait qu’une rédigée en français » (Homier, 1933, 2-3). Comme quoi certaines préoccupations ne datent pas d’hier...

Un mode de transport qui n’était pas sans risque
Les journaux de l’époque rapportent régulièrement des accidents impliquant les tramways de Québec ou encore de tramways qui quittent leurs voies. Ainsi, le 31 août 1927 fut un jour tragique pour la famille Garneau de la rue Garnier, quand leur fille de trois ans fut frappée par un tramway; elle a eu un bras amputé. Dans un tout autre registre, l’Action catholique du 30 juin 1928 rapporte qu’un tramway à l’arrêt au terminus de l’École de Chimie (rue Garnier) avait été frappé par la foudre lors d’un violent orage.


Une transition houleuse vers l’autobus
La transition vers l’autobus sera accompagnée d’un vif débat au sein de l’opinion publique, comme en font foi plusieurs articles parus dans Le Soleil notamment. Par exemple, on peut lire dans un article du 30 novembre 1946 que : « Les experts condamnent, en principe, ce système devenu désuet de transporter les citadins ». Citant Jacques Gréber, l’urbaniste qui conçut le plan d’Ottawa, l’article soutient que le tramway nuit à la fluidité de la circulation, contribuant à l’augmentation de la congestion dans les rues de Québec. Si plusieurs s’entendent pour dire que le tramway est une des sources de la congestion à Québec, des citoyens vont défendre malgré tout le tramway. Ce fut le cas de la Ligue des citoyens de Saint-Sacrement qui réclame à plusieurs reprises certes des autobus, mais également le maintien du tramway.

En février 1935, la Ligue des citoyens de Saint-Sacrement demande l’implantation d’un service d’autobus entre Saint-Malo et Saint-Sacrement, car à l’époque, le tramway pour la basse ville passait par le carré d’Youville. Cette demande sera renouvelée en juin 1937. En avril de l’année suivante, la Ligue des citoyens de Belvédère ne demande rien de moins que le remplacement des tramways par des autobus. Dès cette époque, le tramway aurait donc commencé à avoir mauvaise presse auprès de certains citoyens, lesquels sont de plus en plus nombreux à posséder une voiture. En mars, la Quebec Light Rail & Power Co. avait annoncé la mise à l’étude du remplacement des tramways par un réseau d’autobus.


En février 1939, la Ligue des citoyens de Saint-Sacrement s’oppose à la disparition des tramways dans le quartier; ils invoquent alors la capacité d’un tramway à transporter trois fois plus de voyageurs qu’un autobus. Autrement dit, les citoyens craignent alors une baisse de service. La Ligue remonte aux barricades en mars de cette même année pour réclamer à nouveau le maintien du tramway. Ainsi, les citoyens de Saint-Sacrement vont non seulement s’impliquer dans le maintien d’un service de transport en commun efficace pour leur quartier, mais, par le fait même, ils se trouvent à participer au débat sur l’avenir du transport en commun à Québec.

Si la guerre ralentit le remplacement des tramways, le 6 février 1941 la Ville de Québec et la Quebec Light Rail & Power Co. signent une entente devant mener à la mise en place d’un service de transport en commun par autobus.

Cette brève incursion dans l’histoire du transport en commun est intéressante dans la mesure où elle met en lumière le fait que, bien souvent, les préoccupations urbaines et les débats d’opinion d’hier peuvent ressembler à ceux d’aujourd’hui. Si les gens de Québec étaient, dans les années 1940, préoccupés de congestion et de transport en commun, encore aujourd’hui ils le sont, avec parfois des arguments qui ne sont pas sans évoquer ceux d’hier.

Un appel à la communauté
Mais voilà, l’histoire du service de tramways dans Saint-Sacrement ne semble pas avoir fait l’objet d’une attention particulière; les photos et les documents à son sujet se font rares, sinon inexistants. Le Conseil du quartier Saint-Sacrement profite donc de ce billet pour faire un appel à tous. Vous avez des anecdotes ou des souvenirs liés au tramway? Vous avez des photos sur lesquelles nous pouvons apercevoir les tramways de Saint-Sacrement? Ne manquez pas de les partager avec nous!

Rémi Guertin Ph.D.
géographe



Références
Cet article doit beaucoup à monsieur Jean Breton de la Société d’histoire d’autobus du Québec (S.H.A.Q) qui a patiemment épluché les journaux de Québec des années 1930 et 1940 pour effectuer la liste de tous les articles relatifs à la Quebec Railway Light & Power Co.

Bergeron, G. (1990). La belle époque des tramways. Cap-aux-Diamants, 5 (4), 19–22; https://www.erudit.org/fr/revues/cd/1990-v5-n4-cd1041559/7549ac/

Homier, Pierre (1933), La vie courante. Texte publié par l’Action nationale, février, pp.2-4. Article consulté sur le site de la BANQ à http://collections.banq.qc.ca/ark:/52327/2163597.

Jedwab Jack (non daté), « FORGET, sir RODOLPHE », dans Dictionnaire biographique du Canada, vol. 14, Université Laval/University of Toronto, 2003 –, consulté le 12 déc. 2017, http://www.biographi.ca/fr/bio/forget_rodolphe_14F.html

L’historique. Article publié sur le site du Réseau de Transport de la Capitale et consulté en décembre 2017 (https://rtcquebec.ca/Default.aspx?tabid=365&language=fr-CA).

Patri-Arch (2012), Inventaire du patrimoine bâti des quartiers de Sainte-Foy, Sillery et Saint-Sacrement à Québec. Synthèse architecturale et patrimoniale. Étude réalisée dans le cadre de l’Entente de développement culturel intervenue entre le ministère de la Culture, des Communications et de la Condition féminine du Québec et la Ville de Québec (https://www.ville.quebec.qc.ca/apropos/participation-citoyenne/conseils_quartier/saintsacrement/Visualiser.ashx?id=1438).

Pierre Garneau. Article biographique paru sur le site de l’Assemblée nationale et consulté en décembre 2017 à http://www.assnat.qc.ca/fr/deputes/garneau-pierre-3345/biographie.html

Réseau de transport de la Capitale. Article publié sur le site Wikipédia, l’encyclopédie en ligne et consulté en décembre 2017 à https://fr.wikipedia.org/wiki/R%C3%A9seau_de_transport_de_la_Capitale

Tramway de Québec. Article publié sur Wikipédia, l’encyclopédie en ligne et consulté en décembre 2017 à https://fr.wikipedia.org/wiki/Tramway_de_Québec

Tramway. Article publié sur le site de la Ville de Québec, section Patrimoine; consulté en décembre 2017 à https://www.ville.quebec.qc.ca/culture_patrimoine/archives/pages_histoire/tramways.aspx.

Ville de Québec (1988), Montcalm Saint-Sacrement. Nature et architecture : complices dans la ville. Québec, Ville de Québec.

Illustrations

Portrait de Rodolphe Forget. Source : Library and Archives Canada, PA 127 236, collection Thérèse Casgrain sur Wikipédia 

Intérieur d’un tramway (ca 1930). Archives de la Ville de Québec; fonds : Collection iconographique de la Ville de Québec, photographie : CI-N001838. URL : https://www.ville.quebec.qc.ca/culture_patrimoine/archives/recherche/archive.aspx?aid=7549

Rails de tramway sur le chemin Sainte-Foy (1942). Archives de la Ville de Québec; fonds : Ville de Québec, négatif : Q-C1-14-N001852. URL : https://www.ville.quebec.qc.ca/culture_patrimoine/archives/recherche/archive.aspx?aid=32015

Les premiers chars à chevaux circulant à Saint-Roch (avant 1900). Archives de la Ville de Québec; fonds : Collection iconographique de la Ville de Québec, photographie imprimée : CI-N010290. URL : https://www.ville.quebec.qc.ca/culture_patrimoine/archives/recherche/archive.aspx?aid=9599

Chemin Sainte-Foy (1929). Archives de la Ville de Québec; fonds : Collection iconographique de la Ville de Québec, photographie : CI-N000020. URL : https://www.ville.quebec.qc.ca/culture_patrimoine/archives/recherche/archive.aspx?aid=6655

Electric cars first day (ready to start) 19 juillet 1897 (1987). Archives de la Ville de Québec; fonds de Louis Lachance, internégatif : P075-N012517. URL : https://www.ville.quebec.qc.ca/culture_patrimoine/archives/recherche/archive.aspx?aid=11591.

Les autobus de la Québec Railway, Light and Power Co. Source : photojrad.shost.ca.

Tramway au coin des rues Joffre et Saint-Cyrille (aujourd'hui le boulevard René-Lévesque), source:  Jean Breton.

Carte
Québec, carte dessinée par D. Boucher en avril 1918. Échelle approximative : un pouce au mille pieds. NMC 20654. La ligne de tramway est représentée par un trait tracé au centre des rues.



Aucun commentaire:

Publier un commentaire

Remarque : Seuls les membres de ce blogue sont autorisés à publier des commentaires.