Chemin Sainte-Foy vers 1951

Chemin Sainte-Foy vers 1951
1951 Boucherie Bégin et les commerces avoisinants. Il s'agit d'une photographie représentant la boucherie Bégin située au 900, chemin Sainte-Foy, entre les avenues Saint-Sacrement et Marguerite-Bourgeoys. On y voit également les commerces avoisinants, dont la lingerie Leduc. Le cliché a été pris en direction nord. Fonds : Ville de Québec. Cote : Q-C1-14-N002934

jeudi 2 février 2017

Le pin de monsieur Holland




Pourquoi avoir inscrit sur ce plan de 1865 l'emplacement exact d'un arbre?  Ce genre de détail n'est pas commun.   Et pourquoi l'avoir désigné nommément le Holland Tree hormis le fait qu'il se trouvait sur la propriété ayant appartenu à Samuel Holland ? 


Plan 1865, Sheet IV.9, Honorius Sisson Sitwell
Source:  BAnQ, cote P600,S4,SS2,D634,P20

On sait que Samuel Holland avait aménagé sur sa propriété un petit cimetière entouré d'un muret de pierres à proximité d'un pin immense.  À sa mort, sa dépouille y aurait été enterrée.  On sait aussi que le corps de son fils, Samuel Lester Holland, y a été inhumé en 1795.

"Le Major Holland expira en 1801... Il s'était préparé au milieu de son domaine un petit cimetière privé où devaient reposer ses cendres et celles des membres de sa famille.  L'enclos entouré d'un muret solide, était ombragé d'un pin majestueux, lequel, à raison du rôle qu'on lui prêtait dans un duel mémorable, est devenu légendaire."          Source:  Monographies et esquisses, J. M. LeMoine, Québec, Imprimerie de Jos.-G. Gingras et Cie, 1885.


Esquisse tirée de "The Life and Times of Major Samuel Holland"
par Willis Chipman, 1923, page 68


James M. LeMoine décrit ainsi la vue que l'on avait du célèbre pin du domaine Holland:  "... To a person looking from de main gate, at Spencer Wood, in the direction o the south gable of Holland House, exactly in a straight line, no object intervenes, except a fir tree, wich detaches itself on the horizon, conspicius from afar, over the plantation wich fronts the St. Foye road.  That tree is the Holland Tree.  Well !  What about the Holland Tree?..."         Source:  Picturesque Quebec, a sequel to Quebec past to present, J.-M. LeMoine, Dawson Brothers, Publishers, 1882.


La légende veut que Samuel Lester Holland se soit battu en duel sur le domaine de son père sous l'immense pin.  Le fait est que le premier duel mortel sous le régime britannique a eu lieu non pas à Québec mais à Windmill Point à Montréal.


Windmill Point en 1831, James Duncan
Don de Monsieur David Ross McCord
http://collections.musee-mccord.qc.ca/fr/collection/artefacts/M683/

Le jeune officier du 60e Régiment était le quatrième fils de Samuel Holland et de Marie-Josephte Rollet.  Personne ne sait pourquoi il avait eu maille à partir avec Lewis Thomas Shoedde, lieutenant dans le même régiment que Lester Holland mais les deux belligérants décidèrent de règler l'affaire à Montréal dans un duel que l'on savait mortel.

Mais avant que l'affrontement n'ait lieu, Samuel Lester Holland aurait écrit à son père pour lui demander conseil lequel, en guise de réponse, lui aurait expédié de Québec sa paire de pistolets avec ces mots:  "Samuel, mon fils, voici les pistolets que mon regretté ami, le général Wolfe, a bien voulu me faire présent le jour même de sa mort.  J'espère que tu sauras t'en servir de façon à conserver sans tache le vieux nom de notre famille."  Extrait de Le duel au Canada publié par Aegidius Fauteux en 1934 aux Éditions du Zodiaque de la Librairie Déom et Frères à Montréal.

Dans le livre d'Aegidius Fauteux Le duel au Canada on raconte ce qui suit:  "La fatale rencontre eut lieu, non pas en 1799, comme on l'a dit quelques fois, mais en mars 1795, près de la Pointe-du-Moulin-à-Vent, à Montréal, où stationnait alors le 60e Régiment.  Au premier coup, l'enseigne Holland fut mortellement atteint et, après avoir été transporté au Merchants Coffee House sur la rue Capitale, il expirait quelques heures plus tard au milieu des plus atroces douleurs.  La malheureuse victime fut inhumée à Québec le 29 mars 1795."


Par Ilia Repine, 1898
Le duel d'Eugène Onéguine et de Vladimir Lensky
Inspiré du roman éponyme d'Alexandre Pouchkine
Source:   Wikipédia.

James-M. LeMoine a écrit sur les motifs qui ont conduit le jeune Holland et le lieutenant Shoedde à vouloir en découdre les armes à la main.  Il a évoqué une histoire intime entre Lester Holland et la femme du lieutenant lors d'un événement mondain au Château Saint-Louis mais connaissant le goût de l'embellie de Sir James-M. LeMoine, quelques historiens ont par la suite mis en doute ce scénario.  Un autre beaucoup moins romanesque tient du fait que le duel aurait eu lieu à l'issue d'une partie de cartes.

Dans une chronique du journal The Quebec Mercury, le 1 juillet 1862, James-M. LeMoine raconte aussi que lorsque Samuel Holland a aperçu le corps sans vie de son fils Lester, il aurait dit:    "Mon fils bien-aimé, quand le Général Wolfe m'a remis sur les plaines d'Abraham ces magnifiques pistolets, jamais je n'aurais cru que tu aurais à t'en servir dans une cause sans gloire."   (traduction libre)

Samuel Holland a ramené le corps de son fils à Québec et l'a fait enterré sur son domaine.


Photographie d'une étude de peinture
du Major Samuel Holland
vers 1900,  sels d'argent, 14,5 cm x 10 cm
source:  Musée du Nouveau-Brunswick, cote 1987.17.460

À la fin des années 1820, le petit cimetière des Holland était toujours en place.  Toujours dans la même chronique, LeMoine le décrit ainsi:  "Le lieu semble toujours sacré et inviolable avec ses deux plaques de marbre gravées au nom de Samuel Holland et de son fils.  Ces plaques sont entourées d'un muret de pierres et protégé par un portique de fer.  Plusieurs inscriptions recouvrent le mur de pierre, souvenirs des nombreux visiteurs du lieu.  Mais après la vente du domaine par M. Wilson en 1843, plus rien ne garantissait que ce lieu de mémoire allait demeurer sacré et inviolable."  ... "Maintenant  il n'y a plus rien.  Le monument de pierres a disparu.  Tout a été rasé au sol, pierres et plaques ont disparu."  (traduction libre)


Mais qu'en est-il réellement des pistolets que Samuel Holland aurait reçu des mains du général James Wolfe?

Dans un article publié dans The Montreal Gazette, le 27 mars 1931,  le journaliste Fred Williams raconte que les pistolets que le Général Wolfe avait légués à Samuel Holland l'avaient sans aucun doute été pendant le siège de Québec et peut-être juste avant sa mort même si ce fait n'est pas vérifiable.

"Death of General Wolfe", Benjamin West (1738-1820)
huile sur toile, 1770, 152,6cm x 214,5cm, cote 8007
Musée des beaux-arts du Canada

Quoiqu'il en soit, il raconte que ces pistolets auraient été en possession d'une dame Welsh de Boston qui en avait hérités semble-t-il d'une belle-soeur, elle-même descendante indirecte de Samuel Holland.  Ce qui prouverait effectivement que les fameux pistolets auraient jadis appartenu à Samuel Holland.  Mais le jour même de la parution de l'article de Williams, on rapporte que le conservateur du Musée McCord avait déclaré que les fameux pistolets étaient maintenant sous sa garde dans une des salles d'exposition de son musée.


Les pistolets du Général James Wolfe
Musée McCord
http://collections.musee-mccord.qc.ca/fr/collection/artefacts/M6753.2.1-2

Ce qui est effectivement le cas.  Le Musée McCord nous confirmait en janvier dernier que les fameux pistolets que le Général Wolfe avait légués à son ami Samuel Holland avaient été acquis à la fin des années '20 comme en fait foi la correspondance échangée en janvier 1927 entre madame A. Welsh et le président du Musée McCord, Monsieur Lighthall.

Aujourd'hui, le parc Samuel-Holland fait partie du quotidien des gens qui habitent le quartier Saint-Sacrement  et si le cartographe Honorius Sisson Sitwell a pris la peine d'inscrire l'emplacement du "Holland Tree" sur un plan de 1865, peut-être souhaitait-il que nous gardions le souvenir de ce fameux duel et de la légende qui voulait qu'il ait eu lieu dans notre quartier !






Texte et rédaction:  Michel Jutras pour le Conseil de quartier Saint-Sacrement


Un merci tout spécial à Heather McNabb, PhD,  de l'équipe Information et référence du Centre d'archives et de documentation du Musée McCord pour les informations sur les pistolets du Général James Wolfe et leur acquisition par le musée.